Paris, octobre 2007
Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, anime le collectif
« Malgré tout ». Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, aux Éditions La Découverte :
Le Mythe de l’individu (1998, 2004),
La Fabrication de l’information (avec
Florence Aubenas, 1999),
Résister, c’est créer (avec
Florence Aubenas, 2002) et
La Fragilité (2004, 2007).
Angélique del Rey est professeur de philosophie.
Dans les sociétés occidentales hyperformatées, l’idée même du conflit n’a plus de place. Les conceptions de la vie commune tendent vers l’intolérance à toute opposition. Le minoritaire doit se soumettre à la majorité et, de plus en plus, contestataires et dissidents semblent relever de l’
« anormal ». Dans cet essai iconoclaste et bienvenu,
Miguel Benasayag et
Angélique del Rey explorent les racines et les effets délétères de cette idéologie.
En refoulant les conflits, nos contemporains se laissent envahir par l’idéal de la transparence : toute opacité dans leurs relations devrait être éradiquée, car elle impliquerait l’altérité et, donc, l’ennemi potentiel. Une illusion dangereuse, à laquelle peuvent aussi succomber certains contestataires qui critiquent le système avec ses propres catégories : au lieu de s’affirmer comme des « autres », sujets d’une multiplicité subversive, ils s’en tiennent à revendiquer des droits, confortant l’idée que les « valeurs » de l’idéologie dominante sont nécessairement désirables par tous.
Analysant les différentes dimensions du conflit - entre nations, dans la société ou au sein même de l’individu -, les auteurs mettent à jour les ressorts profonds de la dérive conservatrice des sociétés postmodernes. Ils démontent aussi bien les illusions de la
« tolérance zéro » que celles de la
« paix universelle » : nier les conflits nés de la multiplicité, ceux dont la reconnaissance fait société, c’est mettre en danger la vie. Le refoulement du conflit ne peut conduire qu’à la violence généralisée, et l’enjeu auquel nous sommes tous confrontés est bien celui de l’assomption du conflit,
« père de toutes choses » selon
Héraclite.
Les éditions
La Découverte.
Nos sociétés connaissent un moment caractérisé, entre autres, par la « séparation » : nous sommes séparés de notre puissance d’agir, nous ne trouvons plus les passerelles entre nos souhaits et nos pratiques. Sortir du fatalisme ambiant, construire une pensée de l’agir : telle est la voie qu’explore ce livre stimulant.
Mobilisant notamment les apports récents de la neurophysiologie de la perception,
Miguel Benasayag s’efforce de construire les bases d’une pensée de la décision. Les hommes se croient libres, dit
Spinoza, du fait qu’ils ignorent leurs chaînes. Mais connaître nos déterminations, c’est ce qui nous permet, en partie, de sortir de cette liberté imaginaire et impuissante, pour accéder à une position où le destin n’est plus l’ennemi de la liberté.
La fragilité est ainsi la condition de l’existence : nous ne sommes pas
« invités » à nous lier, ni avec les autres ni avec l’environnement, nous sommes ontologiquement liés. La fragilité, condition même de l’existence, est ce qui nous rappelle ces liens avec le tout substantiel dont nous sommes porteurs, mais aussi avec ce que notre époque oublie, la longue durée des phénomènes sociaux. Assumer cette fragilité est le défi de tout un chacun.
La critique des médias est à la mode : tribunes libres, pamphlets, émissions parodiques dénoncent - à juste titre - les journalistes aux ordres, les manipulations de l’information, l’emprise de la
« pensée unique »... Et pourtant, rien ne change : nombre de lecteurs et de téléspectateurs partagent ces indignations, sans modifier pour autant leurs habitudes de « consommation » des médias. Et ces derniers, loin d’être ébranlés par ces critiques, semblent même en être confortés.
C’est ce paradoxe surprenant qu’explore cet essai original, fruit de la collaboration entre une journaliste et un philosophe. À partir de nombreux exemples puisés dans l’actualité - du fonctionnement des
« Guignols de l’info » au traitement du conflit algérien ou de la guerre au Kosovo -,
Florence Aubenas et
Miguel Benasayag livrent une analyse décapante des mécanismes de fabrication de l’information et de leurs effets. En montrant la façon dont l’idéologie de la communication façonne le travail quotidien des journalistes, ils mettent à jour les illusions qu’elle véhicule : l’obsession de la recherche des
« faits vrais », l’idéal de transparence, loin de mieux rendre compte du réel, contribuent à le rendre inintelligible. Et la
« révélation » des scandales, loin d’entraîner des révoltes citoyennes, contribue à fabriquer une société de l’impuissance.
Pour sortir de ces impasses, pour sortir aussi du confort illusoire du radicalisme
« antimédias », les auteurs explorent les voies de ce que pourrait être un autre journalisme, un autre rapport des citoyens à l’information.